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Etude linéaire coulommiers 3

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Français

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Année académique : 2021/2022
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Aperçu du texte

Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et quoiqu'il fît obscur, il reconnut

aisément M. de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin, comme pour écouter s'il

n'y entendrait personne et pour choisir le lieu par où il pourrait passer le plus

aisément. Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière pour

empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se faire

passage. M. de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut dans ce jardin,

il n'eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves. Il vit beaucoup de

lumières dans le cabinet ; toutes les fenêtres en étaient ouvertes et, en se

glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émotion

qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui

servaient de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu'elle était

seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté qu'à peine fut-il maître du

transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud et elle n'avait rien sur sa tête et

sur sa gorge que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de

repos avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de

rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c'étaient

des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi. Il vit qu'elle en faisait des

nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque

temps et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui Mme de Clèves l'avait prise sans

faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu'elle

eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son

visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla

proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz où était le

portrait de M. de Nemours. Elle s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une

attention et une rêverie que la passion seule peut donner.

Résumé du passage :

Dans cette scène nocturne, la princesse est réfugiée dans un cabinet de son pavillon de Coulommiers et se croyant seule, sa pensée tournée vers l’amour secret qu’elle porte à

monsieur de Nemours, elle manipule des rubans à sa couleur et contemple son portrait. Cependant, celui-ci, dissimulé derrière la fenêtre, l’observe, ignorant qu’il est lui-même surveillé par un domestique de monsieur de Clèves. Il s’agit d’une scène au sens théâtral du terme : un personnage voit sans être vu et en même temps un portrait de la princesse de Clèves. Nous sommes en présence d’une nouvelle scène fondée sur les jeux de regards mais qui ne sont pas ceux de la cour (jeu d’emboitement des regards). Cette scène est donc d’un romanesque achevé avec le topos du regard interdit et d’une importance dramatique majeure pour la suite de l’intrigue car c’est l’origine de la mort du mari, Monsieur de Clèves, qui va mal interpréter cet épisode. Nous sommes en présence d’une scène éloquente bien qu’elle soit muette. Le tragique est cependant présent : les personnages sont proches spatialement mais la distance demeure.

Mots clés associés au parcours et à la problématique de séquence :

  • Entreprise de déterritorialisation à la campagne, comme espace refuge, pour exister au monde, « être » et non « paraître »
  • Territoire exposé, mis en scène qui est à peu près vierge, coupé de la société
  • Le territoire de la retraite est un territoire extra social, mais dont les possibles d’être au monde restent aménagées par la société elle-même.
  • On peut parler à propos de ce territoire, d’un territoire en marge, mais d’une marge contrôlée
  • Œuvre qui cherche à réhabiliter la valeur de l’espace périphérique, hors scène, comme un espace de bonheur possible :

Projets de lecture possibles :

    • Comment cette scène exprime-t-elle la tragédie de la passion? L'amour n'est-il qu'un idéal impossible à vivre?
      • Comment dans ce passage Mme de La Fayette transforme-t-elle une scène de visite nocturne banale en un véritable aveu partagé?
      • Peut-il y avoir une déclaration, un « aveu » qui ne soit pas verbal et qui emprunte un autre langage que la parole?
      • Quels aspects du texte montrent l'impossibilité de la rencontre et de la relation entre la Princesse et le Duc de Nemours?
  • Dans quelle mesure cette parenthèse et mise en scène théâtrale inattendue dans le roman dévoile-t-elle au lecteur l’étendue de la passion amoureuse, tout en en exposant les « limites » géographiques, tant que morales et sociales?

Plan possible associé aux différents mouvements du texte :

  1. Description d’un espace scénique
  2. L’observation de Nemours
  3. Le tableau de Madame de Clèves dans son intimité.

Nous verrons en quoi cette scène est romanesque et même sensuelle et en quoi elle est tempérée par une analyse constante et une retenue faite de raison et de pudeur.

I) Une scène romanesque

Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et quoiqu'il fît obscur,

il reconnut aisément M. de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin,

comme pour écouter s'il n'y entendrait personne et pour choisir le lieu

Le personnage de Nemours est ainsi perçu d’abord à travers le regard de l’espion, qui suit avec précision chacun de ces mouvements : la décomposition des différentes étapes et mouvements que nous suivons du Duc est marqué par la syntaxe de la dernière phrase et le lien de coordination, à chaque proposition un verbe qui attribue une nouvelle action à Nemours. Ce qui permet de nous trouver au plus près de son corps et de ses mouvements. Les indices de lieu comme : « jardin » ainsi que « lieu », permet de suivre, à la manière d’une caméra toute la situation. La vue est ainsi sans cesse sollicitée. De la même façon que la narratrice rend compte de l’habileté du gentilhomme, elle rend aussi compte de la capacité de calcule, des évaluations que fait le Duc pour atteindre l’objet de sa quête. Tout est ainsi calcule et stratégie ici territoriale comme le souligne la tournure hypothétique au conditionnel présent : « s’il n’y entendrait », qui prouve qu’il évalue, jauge la situation, et renforcé par le sens du verbe : « choisir » ; ainsi eu le superlatif : « le plus aisément ».

Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière pour

empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se

faire passage. M. de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut

dans ce jardin, il n'eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves.

Idée directrice du passage : c’est ensuite un autre regard qui est mis en scène c’est le regard interdit du Duc de Nemours regardant lui-même la princesse de Clèves : c’est là l’une des originalités du passage : le jeu d’emboitement des regards introduit par le dispositif de filature à caractère romanesque.

La description plus ou moins précise du décor nocturne et mystérieux dans lequel nous sommes plongés se poursuit avec de nouveaux renseignements techniques, comme la mention de termes concrets comme un élément appartenant au lexique de l’architecture : « les palissades » (clôture faite d’une rangée serrée de perches ou de planches ».

Le territoire dans lequel nous pénétrons par effraction en même temps que les 2 espions, se traduit par son resserrement progressif : nous passons en effet du « jardin », mentionné plus haut, qui plonge dans un espace bucolique, à l’image de la retraite à la campagne, à un espace encore plus restreint : les « palissades ». C’est l’isotopie de la circularité, voire de la clôture qui semble se détacher du décor qui se profile sous nos yeux progressivement : « le tour du jardin » et ici » palissades » qui par son sens contient le sème lui-même de clôture.

En plus de se caractériser par sa clôture, l’espace dans lequel est enfermé la princesse semble être infranchissable. L’emploi de l’hyperbole, marqué par l’adverbe intensif suivi de l’adjectif évaluatif : « fort hautes » le prouve. L’univers romanesque se poursuit donc, mais plutôt ici sur le modèle du conte de fée : le paysage, la peinture scénique qui nous est ici offerte ressemble à celle de l’image des princesses de contes de fée, enfermé, séquestrées, comme prisonnière d’un écrin doré dont elle ne peut sortir. Cette image est en fait celle héritée du roman de chevalerie, qui place la dame dans une espace souvent inatteignable.

Pa ricochet, Nemours nous apparaît comme un véritable héros de Chrétien de Troie : celui qui surmonte les obstacles dans la forêt : on retrouve cette même aisance pour atteindre la princesse dans la scène de bal. On retrouve donc toujours chez lui cette image de la transgression, de l’interdit. Cet interdit, cette frontière à ne pas franchir est signifiée par la négation : « ne pût entrer » et le verbe : « empêcher »

La caractérisation de l’obstacle concret à franchir est marqué par l’exagération également avec l’emploi d’autres expressions comme : « encore derrière », « assez difficile » (modalisateur évaluatifs et appréciatifs qui se succèdent) : la narratrice

commente ainsi la nature de la situation pour mettre encore davantage en relief, le courage et la témérité dont fait preuve le duc pour atteindre l’objet de la quête.

La réussite de l’étape franchit est ainsi marquée par le lexique qui lui est associé à travers les verbes : « en vint à bout » et « démêler ». C’est aussi l’habileté du corps du Duc qui est saluée dans ce passage comme l’était celle de l’espion avant lui. Une sorte de parallélisme dans l’aisance de chacun des 2 protagoniste les rapprochent et en font 2 véritables voyeurs hors pair.

L’abondance des hyperboles resserrées dans ce passage pour mettre en valeur l’étape franchie par le duc, prouve que la scène et les personnages qui la compose sont extraordinaires. D’ailleurs, cette habileté du corps est renforcée par l’adverbe de temps » sitôt » qui marque la simultanéité des actions accomplies par le Duc et donc de son extrême rapidité et agilité que l’on pourrait aisément comparée à celle d’un fauve en chasse, guettant sa proie. D’ailleurs, la syntaxe de la dernière phrase, place ben aisément la princesse comme objet final de la quête, au même titre, qu’elle est la chute syntaxique de la phrase : « Mme de Clèves ».

Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet ; toutes les fenêtres en

étaient ouvertes et, en se glissant le long des palissades, il s'en

approcha avec un trouble et une émotion qu'il est aisé de se

représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servaient de

porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves.

Le décor scénique, à la manière d’une scène de théâtre se poursuit. De nouvelles informations permettent de solliciter toujours la vue du lecteur et de nous sentir au plus proche de l’objet observé et convoité par le Duc, la princesse.

Le lexique de la vue est de nouveau sollicité à travers son champ lexical, sa polyptote mais également à travers celui de la clarté : « il vit », « lumière », « voir ».

Il est intéressant de constater que l’on passe ainsi dans le dispositif scénique de l’ombre à la lumière, lorsqu’enfin l’objet de la quête est visible. En effet, cette lumière a une dimension symbolique, elle préfigure l’entrée en scène dans l’espace, le champ visuel du Duc, à la manière d’une actrice qui entre en scène, mais aussi elle caractérise le rayonnement qu’elle incarne dans le cœur du duc.

Le lexique de la vue, est donc autre ici. Ce n’est pas simplement voir sans être vu, ce qui correspond déjà au dispositif de filature, mais c’est aussi voir au sens fort du terme : voir l’être qui se découvre sous nos yeux. La lumière peut donc, dans une autre dimension traduire en perspective la vérité des sentiments que cette fenêtre ouverte sur la princesse pourrait nous faire contempler.

Les termes concrets et techniques du décor s’enchaînent pour traduire de nouveau une avancée progressive dans l’espace et donc dans l’intimité du personnage, allant donc jusqu’à on pourrait le dire presque violer son intimité, dans la mesure où le personnage du Duc se trouve en situation d’effraction. En effet, on passe successivement du « cabinet », qui est déjà un espace beaucoup restreint que celui précédemment exposé, d’autant que le cabinet est l’espace intime par excellence aux fenêtres.

Il est intéressant de s’arrêter sur le dispositif des fenêtres. Dans l’expression : « toutes les fenêtres étaient ouvertes » : symbolise à travers l’adjectif : « ouverte » l’image de Madame de Clèves qui s’offre à Nemours. En effet, les fenêtres marquent la frontière qui est le véritable franchissement de l’intimité du personnage. Leurs ouvertures donnent font prendre à la scène une coloration clairement érotique. On passe ainsi qu’une scène d’espionnage, à un jeu pervers et érotique. En fin, on peut considérer les fenêtres comme

princesse poserait en belle alanguie : « Il faisait chaud, et elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge que ses cheveux confusément rattachés. »

Le regard de Nemours surprend le « négligé » de la princesse et s’attarde sur son corps en partie dénudé, ce qui ne peut qu’attiser son désir. On note la litote pudique de la tournure négative : « elle n’avait rien » pour suggérer la nudité. Cette phrase n’est pas sans rappeler les vers de Racine dans Britannicus (1669) où Junie est évoquée ainsi par Néron : « Belle, sans ornement, dans le simple appareil D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil. »

Mais le tableau s’anime : hypotypose : « Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques- uns, et monsieur de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs qu’il avait portées au tournoi. » Ce rappel de l’épisode du tournoi et le renversement des rôles (c’est la femme qui porte les couleurs de l’homme) nous replace dans un contexte chevaleresque et courtois. Mais surtout, la symbolique des couleurs remplace l’aveu d’amour de madame de Clèves : c’est le signe que monsieur de Nemours occupe son esprit et son cœur!

  • Mieux, « il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire qu’il avait portée quelque temps ». Madame de Clèves s’est emparée, elle aussi, d’un objet appartenant au duc et pas n’importe quel objet : la canne est sans nul doute un fort symbole phallique et le fait qu’elle fasse des nœuds autour avec des rubans est un geste significatif ... Madame de Lafayette ne déteste pas l’érotisme même si elle minaude avec mièvrerie en écrivant : « Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur (sans candeur !) que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur »!

Trois objets révèlent donc la passion de la princesse de Clèves. En effet, Madame de La Fayette emploie un euphémisme pour suggérer la montée du désir masculin.

Ces objets dramatiques ont donc une dimension également symbolique :

  • le ruban : qui constitue une preuve matérielle de la passion : noir/jaune : objet de connivence car ils sont les seuls à en connaitre la signification.

  • la canne des Indes qui crée une symétrie entre eux : le vol du portrait et la canne

  • faire des nœuds : exprime le lien qui les unit : et traduit le rêve secret d’avoir créé une union physique avec le duc de Nemours.

Toute la scène est bien théâtrale :

  • Les objets à valeur symbolique et dramatique
  • Le regard du Duc

Après qu'elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur

que répandaient sur son visage les sentiments qu'elle avait dans le

cœur, elle prit un flambeau et s'en alla proche d'une grande table, vis-

à-vis du tableau du siège de Metz où était le portrait de M. de

Nemours. Elle s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une

attention et une rêverie que la passion seule peut donner.

La scène observée passe d’une posture de la princesse lascive à une posture plus active. En effet, les verbes d’action témoignent de sa mise en mouvement, ainsi que le passé simple qui rend compte de l’enchaînement d’actions successives : « prit », « s’en alla », « s’assit », ainsi que la proposition circonstancielle de temps qui montre une nouvelle

étape dans la scène : « après qu’elle eut achevée », et le passage du plus-que-parfait au passé simple.

Le lexique des sentiments commence à saturer le passage : on observe par rapport aux mouvements antérieurs du texte une véritable gradation dans l’expression des sentiments : grâce », « douceur », « sentiment », « « cœur ».

L’amour de la princesse pour le duc est comme souvent marqué physiquement : le terme appartenant au lexique du corps : « rependait sur son visage », le prouve et rappelle l’entreprise d’analyse de la psychologie du cœur et de ses mouvements tant physiques qu’intérieurs qu’entreprend la narratrice.

Le lexique de l’art, de l’image ou de la peinture entre dans l’espace textuelle comme un clin d’œil ou un jeu de mise en abîme de ce qui se joue dans la scène à travers les termes : « tableau », « portrait », « ce portrait ». On peut en effet voir dans ce passage, un jeu de parallélisme entre les personnage sans que chacun sache ce que l’autre fait : le regard qui est porté sur l’image de l’autre, ou le tableau en clair obscure qui est de nouveau signalé ici par la mention du « flambeau », qui traduit à la fois l’objet scénique concret, qui donne à la scène une dimension picturale, onirique mais aussi qui évoque métaphoriquement l’amour qui unit les deux personnages.

Nous avons du côté de la princesse, comme nous l’avions du côté du duc, un nouvel aveu d’amour, aveu sans ambiguïté, donc, lorsque madame de Clèves se lève pour aller contempler le portrait de Monsieur de Nemours : « elle s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner. »

De même que le duc s’était déplacé et ainsi rapproché de l’image de la princesse dans la scène, elle aussi se déplace (voir les verbes d’action énoncés précédemment) et se rapproche de lui : « alla proche », « s’assit », « se mit à regarder ».

Le parallélisme est flagrant entre ses deux scènes qui s’imbriquent l’une dans l’autre.

Cette scène est aussi et enfin en miroir avec la scène du portrait dérobé où madame de Clèves observe à son insu monsieur de Nemours et le surprend en train de dérober son portrait. La similitude des actes montre la réciprocité des sentiments. Les portraits dans les deux cas sont les substituts de la personne aimée et désirée. Mais, on constate aussi qu’elle ne fait que se contenter d’observer une image : ce qui marquera l’impossibilité de l’amour.

Conclusion :

Ainsi, les personnages ne vont-ils pas au bout de leurs intentions, empêchés par leur raison, les règles de la bienséance et par une sorte d’impuissance née de leurs rêveries. Peut-être aussi ont-ils tout simplement peur de l’amour ou plutôt de sa concrétisation, comme si l’amour rêvé était plus exaltant que l’amour vécu.

Cette charmante scène des rubans pleine de romanesque féérique et de sensualité érotique semble plus rêvée que véritablement vécue par les deux protagonistes. Le silence, les jeux de lumière et la disposition des lieux et des personnages la rapprochent d’un tableau de genre galant. Quand le bruit et le mouvement viennent déranger cette composition, tout s’évanouit et rien ne s’accomplit. A la fin du roman, quand les deux personnages pourront enfin se parler, l’impossibilité du rapprochement sera évidente. Madame de La Fayette aura gardé cette tendance des Précieuses qui, dans l’amour, préféraient le délai, l’empêchement à la réalisation : une sorte de frustration poétique en quelque sorte ...

Synthèse :

  • Scène poétique : impression d’irréalité et jeux de clair-obscur.
  • Scène romanesque : emboitement de regards exceptionnels
  • Scène théâtrale transposable au cinéma
  • Scène tragique car ils sont condamnés à chercher l’autre pour l’atteindre
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aisément. Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière pour
empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se faire
passage. M. de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut dans ce jardin,
il n'eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves. Il vit beaucoup de
lumières dans le cabinet ; toutes les fenêtres en étaient ouvertes et, en se
glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émotion
qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui
servaient de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu'elle était
seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté qu'à peine fut-il maître du
transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud et elle n'avait rien sur sa tête et
sur sa gorge que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de
repos avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de
rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c'étaient
des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi. Il vit qu'elle en faisait des
nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque
temps et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui Mme de Clèves l'avait prise sans
faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu'elle
eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son
visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla
proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz où était le
portrait de M. de Nemours. Elle s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une
attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
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Dans cette scène nocturne, la princesse est réfugiée dans un cabinet de son pavillon de
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