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Fête 6 financement - « Les fêtes qui sont le sourire des villes » Sociologie économique des fêtes

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Sociologie Politique

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Université Paris Nanterre

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FETES

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« Les fêtes qui sont le sourire des villes »

Sociologie économique des fêtes de Bayonne

Francis Marmande les magnifie dans Faites les fêtes (Marmande 2012), tandis que Txomin Laxalt y fait à peine allusion dans Bayonne, l’usage de ma ville (Laxalt 2010). Plus terre-à-terre, l’étude des bulletins municipaux montre combien elles jouent un rôle dans l’action municipale et l’image que la mairie veut donner de la ville (Faur 1999). Les fêtes de Bayonne sont des fêtes pleinement urbaines dont l’impact sur la ville est considérable, d’un point de vue politique, culturel et, bien sûr, économique. C’est sous ce dernier aspect que je vais ici les considérer.

Avec la montée en puissance de ces fêtes, ce sont environ 200 000 à 250 000 festayres — le terme local pour désigner les personnes se rendant aux fêtes — qui envahissent chaque jour un espace sur lequel habitent 10 000 personnes. On imagine sans peine l’important travail que la municipalité d’une part, les habitants et commerçants de l’autre doivent accomplir pour recevoir une telle foule et distribuer les animations qui égayent l’ensemble de cet espace urbain — le quartier Saint Esprit, sur la rive droite de l’Adour, le « grand Bayonne » sur la rive gauche de la Nive et de l’Adour, le « petit Bayonne » entre l’Adour et la Nive — pendant une semaine si l’on compte les deux jours de braderie qui précèdent l’ouverture officielle de la fête, désormais fixée au dernier mercredi soir du mois de juillet.

Comment aborder cet événement festif d’un point de vue de la sociologie économique? Une revue approfondie de la littérature n’apporte pas de réponse dans la mesure où la sociologie des fêtes étant un parent pauvre de la sociologie contemporaine, la sociologie économique de la fête est un champ vierge de toute enquête approfondie.

Plusieurs options s’offrent. La dimension festive peut être abordée d’un point de vue de la sociologie de la culture, laquelle permet à son tour de faire la connexion avec la sociologie économique des biens culturels, comme l’ont montré les travaux de Pierre Bourdieu (1971) et de Lucien Karpik (2007). Je me réserve de considérer une telle approche ultérieurement ; dans le cas

présent, j’examine ce phénomène social selon le triptyque marché – redistribution – réciprocité, avec lequel Karl Polanyi conçoit l’économie.

Présenté dans la Grande transformation (Polanyi 1944, p. 76-86), ce triptyque est développé dans un des chapitres de Trade and Markets in Early Empire (Polanyi 1957), avant d’être déployé dans Dahomey and the Slave Trade, (Polanyi 1964). L’idée centrale de ce triptyque est qu’une économie est constituée d’une combinaison de différentes formes institutionnelles qui sont, comme j’ai essayé de le montrer (Steiner 2016, chap. 5), autant de formes de solidarité. Le marché est l’institution qui porte l’échange marchand, et la solidarité catallactique unissant les acteurs du monde marchand ; la redistribution est l’institution qui lie les individus par l’impôt de manière à donner corps à une solidarité politique entre les citoyens soumis à ce prélèvement et bénéficiaires de ce financement. Enfin, la réciprocité rapporte les individus ou les groupes les uns aux autres directement ; elle alimente une forme propre de solidarité, dont Marcel Mauss (1925) a fixé la formule en termes des trois obligations morales de donner, recevoir et rendre.

Cette tripartition économique est à l’œuvre dès la création des fêtes de Bayonne en 1932 ; elle l’est toujours dans le cadre des fêtes contemporaines. La première partie de ce texte va en montrer l’architecture en se basant sur les budgets du Comité des fêtes de l’entre-deux-guerres. La deuxième partie montre que la tripartition polanyienne doit également être étudiée d’une manière dynamique. En me basant sur les éléments recueillis lors des deux dernières éditions des fêtes, je montre que l’articulation entre les trois formes institutionnelles est mouvante et source de tensions que les différents acteurs doivent gérer pour la continuation de cet événement festif, désormais étroitement attaché à l’image de la ville.

Marché, impôt et contribution volontaire Fondée à partir de rien en 1932, dans une ville moyenne — elle compte alors 22 000 habitants — du sud-ouest de la France, le Comité des fêtes et la Mairie de Bayonne organisent des fêtes d’une durée de cinq jours, au milieu du mois de juillet.

Trois sources permettent de saisir l’imbrication de l’économique et du festif lors de la création de ces fêtes : les archives contenant les documents relatifs à la gestion municipale et à l’élaboration du budget de la ville ; les archives de Benjamin Gomez, la personne clé à l’initiative de la création de la

de la gaité, de la joie » et s’il faut le faire avec diplomatie, la crise est moins affreuse à supporter que la guerre :

« Il est donc permis de rire, quand même. Plaie d’argent n’est pas mortelle et puis c’est souvent dans le rire et dans la joie que la charité se manifeste le plus généreusement. D’autre part, le marasme commercial nous dicte impérieusement la marche à suivre. N’oublions pas, en effet, que les fêtes qui sont le sourire des villes, sont toujours bienfaisantes au commerce. L’argent dépensé pour la réalisation d’une fête demeure presqu’entièrement dans la ville, il entre dans les caisses de nos commerçants. L’apport étranger que nous vaut une intelligent publicité et le renom jamais démenti des fêtes de Bayonne peut être considéré comme un heureux supplément » (AMB, fonds Gomez, dossier 10S840-19, f°4). Ce que l’on peut appeler le keynesianisme municipal est ici pleinement à l’œuvre. Le principe est simple : dans une économie fermée, où les flux monétaires ne se traduisent pas en paiements vers l’extérieur, la dépense et le pari de l’optimisme permettent de relancer l’activité économique. L’attent 2 e de ces dépenses anime les « esprits animaux » des entrepreneurs qui accroissent leurs propres dépenses productives pour répondre à la demande effective qu’ils escomptent de l’ouverture des fêtes. De proche en proche (effet multiplicateur), le niveau d’ensemble de l’activité économique va s’élever. Si, comme le laisse espérer Gomez, des personnes extérieures à la ville viennent accroitre ce volume de dépenses, l’effet bénéfique sur l’activité sera d’autant plus fort. Sous une forme plaisante, on pourrait dire qu’à la suite de Gomez la Mairie de Bayonne a préféré faire la fête plutôt que de creuser des trous pour les reboucher comme le suggérait ironiquement John Maynard Keynes lorsqu’il indiquait les moyens d’augmenter la demande effective et le niveau d’emploi. 3

Comment sont financées les festivités dans la ville de Bayonne? Le registre du Comité des fêtes, bien qu’il ne commence qu’en 1936, mentionne

2 Un programme provisoire sur lequel les dépenses du Comité sont indiquées aboutit à une dépense totale de 97 820 francs. Pour l’essentiel ces dépenses sont relatives aux animations musicales (17 000 francs), à la distribution de prix pour les divers concours d’élégance, épreuves sportives (27 500 francs), les courses de vaches (5 000 francs), le cortège des « géants, création personnelle de Gomez (20 700 francs), et les frais divers (assurance, affichage, publicité : 16 200 francs) (AMB, fonds Gomez, 10S810)

3 « ‘To dig holes in the ground’, paid out of savings, will increase, not only employment, but the real national dividend of useful goods and services. It is not reasonable, however, that a sensible community should be content to remain dependent on such fortuitous and often wasteful mitigations when once we understand the influences upon which effective demand depends » (Keynes 1936, p. 220).

trois sources de financement : les subventions de la Mairie, le produit des souscriptions publiques et les entrées acquittées par le public lors des diverses manifestations (AMB, Carton I, f°4 verso). Les trois éléments du triptyque polanyien sont dont présents.

L’examen des budgets de la ville montre la faible emprise des festivités en général sur les finances de la ville ; rapportées au budget global, les dépenses de festivités en 1931 ne se montent qu’à 1,8 %. L’arrivée des fêtes de Bayonne ne modifie pas le montant des dépenses, stable avant que n’apparaisse à la fin de la période une dotation spécifique pour l’organisation par le Comité des fêtes des fêtes traditionnelles annuelles (Tableau 1). Néanmoins, la fête est en partie financée par l’impôt.

La modicité des ressources offertes par la Mairie, n’empêche pas d’autres formes publiques de financement qui passent par un dégrèvement fiscal, comme on le voit en examinant les budgets des éditions suivantes des fêtes. L’organisation financière des fêtes est bien maîtrisée puisque le 4 septembre 1934, Gomez indique au Conseil municipal que le Comité des fêtes a plus d’argent en caisse qu’avant les fêtes de l’année en cours (AMB, Carton 1 D53, f° 431) ; le Comité des fêtes obtient néanmoins de la Mairie une baisse des impôts (taxe de plaçage) payés par les commerçants bayonnais à l’occasion de la braderie en avril 1933, puis un dégrèvement de la taxe municipale sur les spectacles en août 1936.

1931 1932 1933 1934 1935 1938 1939 Subvention au comité des fêtes des fête

30 000 30 000 30 000 30 000 30 000 --- ---

Concert public

30 000 30 000 20 000 20 000 20 000 27 000 30 000

Fêtes publiques et nationales

40 000 50 000 50 000 50 000 50 000 45 000 45 000

Dépenses imprévues

20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000

Dépenses imprévues

20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000

Allocation au Comité des F ê t e s p o u r l’organisation des fêtes de Bayonne Total 140000 150000 140000 140000 140000

60 000

172000

60 000

175000

Le marché, troisième volet de ce triptyque, vient avec les ventes réalisées par le Comité des fêtes, avec la location de chaises, ou le paiement d’un droit d’entrée aux courses de vaches et autres animations. Mais surtout, le marché est présent en tant qu’animation de la fête. Premièrement, la fête, par définition, signifie dépense de nourritures et de boissons ; lesquelles dépenses vont au bénéfice des bars restaurants de la ville. Deuxièmement, puisque la fête est créée pour ranimer une activité commerciale défaillante, les fêtes traditionnelles proposent une braderie commerciale, c’est-à-dire une journée destinée à donner un surcroit d’activité au commerce local. Avec la braderie, on entre de plain-pied dans la jonction entre la fête et l’activité commerciale. Cette jonction ne s’avance pas masquée : elle est explicite, tant dans le projet de Gomez que dans les comptes rendus de la presse. Mieux encore, elle figure sur l’affiche des fêtes de 1932, affiche dessinée par Gomez lui-même et utilisée pour les fêtes suivantes jusqu’en 1935. Le 8 juillet 1932, au moment où la fête nouvelle en est à ses derniers préparatifs, le Courrier donne le programme des festivités dont la journée du samedi est annoncée comme suit : « GRANDE JOURNÉE DU COMMERCE LOCAL. Réclames sensationnelles dans les magasins de la ville ». Les 11, 12, 13 et 15 juillet, la dernière page de ce petit quotidien est entièrement consacrée à des publicités commerciales sous l’intitulé « LA GRANDE JOURNÉE RÉCLAME DU COMMERCE BAYONNAIS ». La veille de cette journée du commerce local, le maire fait placer un encart concernant le mode d’organisation de la publicité commerciale pour le dimanche :

« POUR LE COMMERCE. Pour répondre au désir exprimé par un certain nombre de groupements désireux de se livrer à des manifestations de publicité commerciale, le Maire de Bayonne a l’honneur d’informer les intéressés que la matinée du dimanche 17 juillet, de 9 heure à midi leur sera réservée. Tous ceux qui en feront la demande à la Mairie de Bayonne seront autorisés, dans la matinée du 17 juillet à circuler dans les rues de la ville. Il est expressément convenu que cette autorisation n’est accordée que dans un but de publicité commerciale » (Courrier, 15 juillet 1932). Au moment de la clôture des fêtes, Pierre Landrieu, le président du Comité des fêtes, remercie les donateurs et les bayonnais qui ont si bien accueilli la première édition des fêtes : « La gratitude du Comité organisateur s’étend sur la multitude des souscripteurs qui ont spontanément répondu à son appel, en vue de collaborer et donner à notre chère ville un regain d’animation et de prospérité. Il exprime son entière reconnaissance aux généreux donateurs d’objets divers, qui ont voulu en même temps que fut récompensés les

participants au concours d’élégance automobile et manifestations sportives » (Courrier, 21 juillet 1932). Le lendemain, Peillic, le journaliste phare du journal, tirant le bilan des fêtes mentionne le succès de cette journée du commerce : « La vente-réclame mériterait à elle seule un copieux commentaire. Ceux qui hésitaient sont maintenant pleinement convaincus. Reste à étendre la “braderie” à tous les quartiers de la Bayonne, à toutes les marchandises qui se prêtent à cette opération avantageuse. C’est l’affaire des intéressés, et je sais qu’ils s’en préoccupent d’ores et déjà » (Courrier, 22 juillet 1932). Il faut bien sûr faire la part d’un enthousiasme de commande du journaliste et de la recherche d’un effet performatif, mais l’appel à la générosité associé aux avantages que les commerçant retirent des fêtes que la maire laisse à penser que les commerçants y trouvaient leur intérêt et qu’ils y ont participé en puisant dans leur trésorerie. L’année suivante, la même stratégie est mise en œuvre :

« APPEL DU MAIRE. Le comité des fêtes va envoyer ses délégués auprès des commerçants et industriels bayonnais pour leur demander de vouloir bien participer aux dépenses qu’entrainera la réalisation d’un programme de fêtes. Plus que jamais, dans la période de crise que nous traversons, il importe de faire preuve d’activité et les fêtes constituent assurément une des principales attractions de notre chère Cité. Un appel pressant est donc adressé à tous ceux qui s’intéressent à la vie locale de Bayonne pour leur demander de seconder de leur mieux les efforts concertés du Comité des Fêtes et de la municipalité » (Courrier, 4 juillet 1933). Le budget s’est lentement accru, tout en restant maîtrisé par le comité des fêtes comme on le voit dans les comptes du Comité après les fêtes de 1936 (AMB, fonds Gomez, dossier 10S811). Les fêtes de 1936 ont coûté un total de 140 672,20 francs, avec un solde positif pour le Comité de 31,90 francs. La Mairie a fourni 45 000 francs (32%), la souscription 43 465 (31%) ; les 52 207 restant proviennent des recettes de la fête elle-même qui s’autofinance donc à hauteur d’environ 37 % en vendant le produit que sont les animations de la fête. Marché, réciprocité et redistribution sont bien à l’œuvre.

Économies en tension Si on se déporte de ce passé et que l’on considère les dernières éditions des fêtes de Bayonne, observe-t-on toujours la présence de ce triptyque polanyien? Oui, mais sous une forme différente, car les fêtes et leur financement ont beaucoup changé depuis 1932. Ces changements redéfinissent les espaces

actuelles leur coloration plus familiale avec un déport marqué vers la fête de jour.

Ces changements entrainent une modification de la place prise par le volet réciprocité de l’économie des fêtes. Les contributions volontaires ont disparu au cours des années 1950 ; c’est par le monde associatif que cette dimension de l’économie garde son importance. En effet, au cours de sa longue vie politique de premier édile de la ville (1959-1995), Henri Grenet a favorisé l’émergence des associations connues sous le nom de peñas (Faur 1999), ainsi que celle des 7 bandas , ces dernières pouvant d’ailleurs être adossées aux premières ; Jean 8 Grenet, son fils qui prend sa succession de 1995 à 2013, suit la même politique, en facilitant leur implantation dans les anciennes casemates des fortifications Vauban qui entourent le centre-ville ou en leur louant des locaux de la ville à un faible prix.

La place des peñas évolue. Associations masculines privées, elles ne servent initialement que leurs membres et leurs invités directs. Peu à peu, elles acquièrent une place dans le cadre des fêtes. Elles servent d’abord de refuge aux festayres une fois que les bars et restaurants sont obligés de fermer, à 2 heures du matin. Le « jeu » des festayres est alors de s’introduire dans les peñas où l’on peut continuer à faire la fête : elles vendent d’autant plus que les débits de boisson officiels sont fermés. Au milieu des années 1990, elles ont obtenu le droit de rester ouverte au public après que les bars soient fermés (Sud-Ouest, 6 août 1997). Depuis quelques années, les peñas sont soumises à l’obligation de fermer à la même heure que les bars et restaurants, mais elles obtiennent de la mairie le droit de vendre librement nourriture et boisson pendant les fêtes, sans acquitter ni taxe professionnelle, ni TVA. En échange, elles contribuent à l’animation des fêtes et, éventuellement, de la ville pendant

7 Ce terme désigne toute société festive et amicale, masculine, ayant pignon sur rue. Près de 3 000 personnes sont membres d'une peñas à Bayonne — il en existe environ 86 : voir penas-bayonne.

8 Groupes d’animation musicale qui, depuis 1960, défilent en musique dans les rues festives de la ville ; ils sont issus des mouvements associatifs. On en compte environ 25.

le reste de l’année. La charte des peñas entérine cet « échange » entre la mairie et les associations. 9

Ce statut dérogatoire permet le financement des peñas et, donc, celui des fêtes de Bayonne : la ville se prive de certaines ressources (loyers, impôts) en échange d’une prise en charge par les associations d’une partie de l’animation. Celles-ci financent leur participation, et, de fait, leur existence annuelle, par la vente d’alcool et de nourriture pendant les cinq jours que durent les fêtes. 10 Malgré les polémiques, selon lesquelles certaines peñas ne jouent pas vraiment le jeu de l’animation des fêtes, il ne faut cependant pas sous-estimer le rôle des peñas, largement valorisé par les deux derniers présidents du Comité des fêtes. Nombre d’animations désormais bien implantées dans les fêtes comm 11 e le Baionan Kantuz (chants basques), le Karrikaldy et le Dantzazpi (danses basques) sont des émanations directes des peñas et associations basques. Plus encore, l’idée du Roi Léon a été soufflée à Béhotéguy par la peña Or Konpon, l’une des plus célèbres peñas de la ville. La réciprocité ne passe plus par un don d’argent, mais plutôt par un don de temps et d’initiatives en échange d’un financement indirect attribué par la Mairie.

9 La charte des peñas porté par le Groupement des Associations Bayonnaises (GAB), indique : Article 1 – Définition des peñas : Une peña est une association non lucrative, déclarée sous le régime de la loi 1901, à but culturel et festif, qui regroupe des adhérents autour de thèmes ou de valeurs qui leur sont propres. En tant qu’associations, les peñas du GAB s’engagent à respecter les règles déclaratives d’une association loi 1901 à but non lucratif. Tout membre du GAB devra présenter son récépissé de déclaration et ses statuts. Article 2 – Acteurs de l’animation culturelle et festive : Une peña est un acteur de la vie culturelle bayonnaise, et participe de manière directe et identifiable à l’animation de la ville toute l’année. Article 3 – Conditions d’exercices et activités publiques : Les peñas sont des cercles privés. En dehors des fêtes de Bayonne et des manifestations collectives organisées par la ville ou sous label GAB, la vente de boissons et nourriture est strictement limitée aux membres et à leurs invités. Les associations possèdent ou louent un local à l’année à Bayonne. Le GAB accueille également parmi ses membres des associations n’ayant pas encore de local mais répondant à la définition de l’article 3 de la présente Charte. La peña est responsable en permanence de l’utilisation de son local. Article 4 – Les fêtes de Bayonne : Pendant les fêtes de Bayonne, en dehors d’une animation exceptionnelle validée par la Commission des Fêtes et la Ville, les peñas s’engagent à : a) Ne pas disposer d’enceintes à l’extérieur du local ; b) Ne pas disposer de comptoir extérieur. Les associations s’engagent également à favoriser l’accueil des musiques vivantes.

10 A titre indicatif, et avec les réserves qu’imposent des données purement déclaratives, le président de l’une de ces peñas m’indique que la vente des sandwiches a rapporté environ 14 000 € lors des fêtes de 2018 ; la vente de l’alcool à peu près autant. Ce sont des recettes brutes ; le revenu net est moindre puisqu’il faut compter le coût d’achat des produits, mais la main d’œuvre est bénévole et donc sans coût direct pour la peña.

11 On peut s’en rendre compte dans l’article « D’une présidence à l’autre » de Jean-Louis Etcheto (journaliste à Sud-Ouest, mais également président de la peña Pottoroak, la plus chic des peñas de la ville) du Sud-Ouest du 31 juillet 2000 – voir également l’article « Fêtes de Bayonne : la relève des idées » dans le Sud-Ouest du 2 août 2001.

Les fêtes sont en effet coûteuses pour la ville, avec un déficit compris entre 1,1 et 1,4 millions d’euros jusqu’en 2015 (Tableau 2) : mais ce coût reste modéré compte tenu de l’enjeu réputationnel pour Bayonne. Rapporté au budget total de la ville de l’ordre de 110 millions d’euros en 2015, le coût est, en proportion, voisin (1,07 % en 2015) de celui des années 1930.

Tableau 2 Bilan financier des fêtes de Bayonne pour la Mairie (en euros courants) 12

En 2013, un comptage précis du nombre des festayres est réalisé pour définir une politique nouvelle de financement avec acquittement d’un droit d’entrée aux fêtes, jusque-là gratuites pour tous. Mais le pas n’est pas alors franchi. Finalement, c’est à l’occasion de la dernière édition que René Etchegarray, successeur de Jean Grenet dont il fut l’adjoint, décide d’introduire un paiement à l’entrée des fêtes. L’argumentation qu’il déploie aux nombreuses occasions où il a eu de justifier sa décision est double : d’une part, suite à l’attentat de Nice, revendiqué par Daech, le 14 juillet 2016, les coûts de sécurité pour les fêtes ont significativement augmentés (Tableau 2, deuxième ligne). D’autre part, il invoque un problème de justice fiscale : les fêtes profitent à beaucoup de gens extérieures à la ville, et il n’est pas juste que seuls les Bayonnais en acquittent le prix par leurs impôts locaux. Les peñas sont résolument contre, craignant une rupture avec la tradition festive locale et une transformation des festayres en consommateurs ; de son côté, prenant 13 exemple de ce qui se passe à Pamplona pour le financement des fêtes de San Firmin, l’opposition municipal suggère qu’un financement soit demandé à la Communauté d’Agglomérations, récemment créée dans le département. Une

2014 2015 2016 2017

Total dépenses 2 128 977 1 939 902 2 106 085 2 197 443 (dont sécurité) (615 734) (642 619) (790 830) (831 230) Recettes 711 618 762 985 688 958 697 571 Coût total Mairie 1 417 359 1 176 917 1 417 127 1 499 872

12 Source : Compte rendu de réunion CEMF (28 mai 2018).

13 L’argumentaire des peñas est disponible sur leur site : penas-bayonne/ 2018/03/20/fetes-de-bayonne-payantes-les-associations-defavorables/

proposition que le maire de Bayonne, qui est également le président de cette Communauté d’agglomérations, s’est refusé de faire. Cela ne manquait pourtant pas de pertinence puisque la Communauté d’agglomérations perçoit la fiscalité professionnelle unique dont la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est liée au chiffre d’affaire, et donc aux ventes réalisées lors des fêtes de Bayonne. Ce niveau local de perception des impôts pouvait justifier une demande de subvention de la ville à la Communauté d’agglomérations, zone de chalandise des fêtes, en lieu et place du paiement des bracelets pour les non-bayonnais. La tension fait entrer en ligne de compte les différents cercles de solidarité tracés par la fiscalité, mais aussi donne une plus large place aux échanges marchands, puisque la vente et le contrôle des bracelets a fait l’objet d’un marché avec une société privée.

Les premières informations qui ont circulées à l’issue des fêtes de 2018 ont renforcé la détermination du maire : les festayres non-bayonnais ont acheté sans trop rechigner les bracelets donnant accès aux fêtes : selon le maire, entre 100 et 150 000 bracelets ont été écoulés, alors que le point mort de l’opération se situait autour de 70 000 (Sud-Ouest, 31 juillet 2018). Mais, comme tout économiste pouvait s’y attendre la fréquentation des fêtes au cours du week- end a baissé d’environ 10%, ce qui a amené certaines peñas à se plaindre devant la baisse de leur chiffre d’affaire. Le problème le plus important est cependant ailleurs : une fois l’espace festif privatisé en raison du droit d’accès, l’Etat peut être amené à ne plus assurer les coûts de sécurité liés à l’importante présence de militaires, de CRS et de sapeurs-pompiers — pour l’instant, la demande est chiffrée autour de 150 000 € — parce que « les forces de police ne sont pas là pour régler les situations créées par les des municipalités » déclare le sous-préfet de Bayonne (Sud-Ouest, 23 juillet 2018). Dans ce cas, la tension vient du chevauchement entre les périmètres de solidarité correspondant aux impôts locaux d’une part et aux impôts nationaux de l’autre. Si les Bayonnais ne doivent pas payer seuls pour les fêtes, pourquoi les Français devraient-ils couvrir une partie non négligeable des frais de sécurité d’une fête où ils doivent payer pour entrer?

Conclusion Dans ce travail fondé sur des données relatives au financement des fêtes de Bayonne, le propos vise à comprendre l’économie complexe que la ville a utilisé en associant redistribution, marché et réciprocité.

Faur, Michel, 1999. Bayonne et son image. Actions municipales et représentations 1983-1995, CESURB – Université Michel de Montaigne, Talence, Recherches Urbaines Fénié, Jean-Jacques, 2005. L’invention de la Côte d’Argent, Cahors, éditions Confluences Garat, Isabelle, 2009. « Vivre sa ville intensément. Mise en scène de l’identité et de la citoyenneté urbaine à travers la fête », halshs.archives-ouvertes/ halshs- Gutierrez Diaz, Josefa, 1991. « Le vieux quartier du Petit Bayonne : les habitants et leur logement », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud- Ouest, 62 (1), p. 51- Hourmat, Pierre, 1984. « Pour une histoire des fêtes de Bayonne », Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, 1984, 140, p. 351- Karpik, Lucien, 2007. L’économie de la singularité, Paris, Gallimard Keynes, John Maynard, 1936. The General Theory of Employment, Interest and Money, dans The Collected Writings of John Maynard Keynes, London, MacMillan & Cambridge university Press (1996) Laxalt, Txomin, 2010. Bayonne, l’usage de ma ville, Bayonne, éditons Iru Errege Marmande, Francis, 2012. Faîtes les fêtes !, Paris, Lignes Mauss, Marcel, 1925. Essai sur le don, dans M. Mauss Sociologie et anthropologie, 1980, Paris, Presses universitaires de France Musée Basque, 2009. Louis et Benjamin Gomez. Architectes à Bayonne, 1905-1959, Bayonne, Musée Basque Polanyi, Karl, 1944. La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, trad. française 1981, Paris, Gallimard Polanyi, Karl, 1957. « L’économie en tant que processus institutionnalisé », dans K. Polanyi & C. Arensberg (eds.) Les systèmes économiques dans l’histoire et dans la théorie, trad. française 1975, Paris, Larousse, p. 239- Polanyi, Karl, 1964. Dahomey and the Slave Trade. An Analysis of an Archaic Economy, Seattle, University of Washington Press Steiner, Philippe, 2016. Donner ... une histoire de l’altruisme, Paris, Presses universitaires de France Steiner, Philippe, 2017. « Le concept de tension chez Max Weber », L’Année sociologique, 67 (1), p. 163- Steiner, Philippe, 2018. « Durkheim et les institutions économiques », dans C. Cuin (ed.) La postérité de l’œuvre d’Émile Durkheim : cent ans après, Presses universitaires de France, p. 291-

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Francis Marmande les magnifie dans Faites les fêtes (Marmande
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de ma ville (Laxalt 2010). Plus terre-à-terre, l’étude des bulletins municipaux
montre combien elles jouent un rôle dans l’action municipale et l’image que la
mairie veut donner de la ville (Faur 1999). Les fêtes de Bayonne sont des fêtes
pleinement urbaines dont l’impact sur la ville est considérable, d’un point de
vue politique, culturel et, bien sûr, économique. C’est sous ce dernier aspect
que je vais ici les considérer.
Avec la montée en puissance de ces fêtes, ce sont environ 200 000 à 250
000 festayres — le terme local pour désigner les personnes se rendant aux fêtes
— qui envahissent chaque jour un espace sur lequel habitent 10 000 personnes.
On imagine sans peine l’important travail que la municipalité d’une part, les
habitants et commerçants de l’autre doivent accomplir pour recevoir une telle
foule et distribuer les animations qui égayent l’ensemble de cet espace urbain
le quartier Saint Esprit, sur la rive droite de l’Adour, le « grand Bayonne »
sur la rive gauche de la Nive et de l’Adour, le « petit Bayonne » entre l’Adour
et la Nive — pendant une semaine si l’on compte les deux jours de braderie qui
précèdent l’ouverture officielle de la fête, désormais fixée au dernier mercredi
soir du mois de juillet.
Comment aborder cet événement festif d’un point de vue de la sociologie
économique ? Une revue approfondie de la littérature n’apporte pas de réponse
dans la mesure la sociologie des fêtes étant un parent pauvre de la
sociologie contemporaine, la sociologie économique de la fête est un champ
vierge de toute enquête approfondie.
Plusieurs options s’offrent. La dimension festive peut être abordée d’un
point de vue de la sociologie de la culture, laquelle permet à son tour de faire la
connexion avec la sociologie économique des biens culturels, comme l’ont
montré les travaux de Pierre Bourdieu (1971) et de Lucien Karpik (2007). Je
me réserve de considérer une telle approche ultérieurement ; dans le cas